Vers une auto-régulation du secteur

 

ème pyramide contre les mines par Handicap International.
Campagne institutionnelle / de sensibilisation de MDM.
Première page du site du Comité de la Charte "Donner en confiance".

 

 

1. La prise de conscience de certaines dérives a donné lieu à la mise en place de cadres éthiques

2. Un travail en partenariat avec la presse

3. L'exploration d'autres formes de communication, privilégiant la participation et l'engagement des donateurs

 

1. La prise de conscience de certaines dérives a donné lieu à la mise en place de cadres éthiques

a) La campagne d'ACF : les 100F qui sauvent Leïla

Cette campagne, réalisée en 1994, montre une jeune somalienne avant et après l'intervention d'Action Contre la Faim. Le texte : " Leïla " puis, sur la deuxième photo, " Leïla 100 F plus tard. " avec l'adresse et le logo de l'association. Si cette campagne a plutôt été mal reçue par le milieu humanitaire et la presse, il est intéressant de remarquer que les raisons de ce rejet ne sont pas les mêmes selon les personnes qui se sont exprimées sur ce sujet et que ces critiques ont tendance à s'effacer à mesure que les techniques de communication issues du secteur marchand sont utilisées par les associations. De plus, cette campagne a eu un fort impact sur le grand public et a permis de faire connaître l'association Action Contre la Faim.

Afin de donner un aperçu de l'accueil de cette campagne par certains membres du secteur associatif, nous avons relevé les réactions de Philippe Lévêque et Denis Maillard de Médecins du Monde, Laurent Villepin du Journal du Sida et Sylvie Brunel d'Action Contre la Faim.

Ces différents témoignages révèlent la difficulté d'établir un cadre éthique de communication pouvant correspondre à chaque association et à l'ensemble qu'elles constituent. En effet, compte tenu du positionnement qu'elles adoptent (cf. Chapitre 1), certains modes de communication, qui peuvent, pour certaines constituer des dérives, ne sont pour d'autres que l'illustration de leurs actions, celles-ci relevant d'ailleurs qu'elles utilisent ces méthodes à des fins justes. Ces difficultés à établir un cadre éthique concernant l'utilisation d'images et de certains messages expliquent alors que des associations aient établi des chartes internes d'utilisation du marketing (ex : Médecins Du Monde).

b) La création du Comité de la Charte de Déontologie- 1989

Le Comité de la Charte s'est créé en 1989 en réaction à la crise de confiance provoquée par l'Affaire de l'Arc. Le contenu de cette charte concerne la transparence financière, la qualité des actions et des messages, la rigueur des modes de recherche de fonds et le contrôle interne du respect des engagements par les organisations signataires. Dans le cadre de cette étude, il est intéressant de prendre note des critères relatifs à la qualité des actions et des messages. Ces critères, régis par le Bureau de Vérification de la Publicité, sont disponibles en cliquant ici

Nous voyons ici qu'en ce qui concerne les illustrations, le Comité de la Charte reste plutôt " flou ". En effet, quelle est la limite entre l'exploitation de la détresse et l'exploitation abusive de celle-ci ? Qui peut en juger ?

2. Un travail en partenariat avec la presse

Aux yeux de nombreux responsables d'associations, la mise en place d'un service de communication est nécessaire, non seulement pour rendre visible l'association par rapport à d'éventuels concurrents, mais également, et surtout, pour apprendre à maîtriser plus " fermement " les relations entretenues avec les médias. A cette notion de maîtrise, nous répondrions plutôt que le bon traitement de l'information passe d'abord par la collaboration.

A savoir que, compte tenu des dérives relevées précédemment, il convient que les associations et les journalistes travaillent ensemble sur les points suivants :

a) À la sélectivité de l'information doit être opposée une éthique de la vision

Nous entendons par-là une attitude basée sur l'analyse globale de l'état du monde humanitaire qui permette de dégager des priorités en fonction d'autres critères que les intérêts de l'audimat, les intérêts politiques et promotionnels traditionnels. Une attitude qui redéfinisse la mission des fournisseurs d'images, et qui ne se contente pas de visualiser, dans le désordre, les fragments d'une réalité, mais qui, en cet âge de communication globale, s'efforce de garder un équilibre en témoignant des événements. La Bosnie, mais aussi le Kurdistan, le Soudan, la Sierra Leone, l'Afghanistan et l'Angola.

b) À la tyrannie du temps réel, il faut opposer une éthique du ralentissement qui restaure le temps de la réflexion

Il faut prendre le temps d'expliquer, bien plus que d'expédier des images. Il faut prendre le temps de diversifier et d'équilibrer les points de vue par l'image elle-même, et restituer l'information du citoyen, et non l'économie des moyens, comme but final de la production d'images.

c) A la dérive vers l'obscénité de l'image des victimes de ces crises, il faut répondre par une éthique de la dignité humaine.

Piégées dans une situation complexe et cruelle, les victimes restent des hommes : montrer leur souffrance, certes, mais sans indécence, dans le respect de la personne privée. Ces hommes et ces femmes ne sont pas les " icônes de la douleur " : ils ont des idées, des émotions des espoirs, une expérience vécue, et sont souvent les premiers partenaires de l'humanitaire. Il faut leur donner la parole, révéler les efforts, parfois farouches, des populations affectées pour se prendre en charge ; leur joie de vivre dans les moments de répit qu'elles parviennent à se ménager ; leur courage et leur noblesse face à la souffrance et aux dangers qui les menacent. Ceci est un vaste programme qui demande, avant tout, un dialogue intensif entre les médiateurs professionnels et les associations humanitaires.

3. L'exploration d'autres formes de communication, privilégiant la participation et l'engagement des donateurs

a) Les mises en scène mass médiatiques

Les médias de masse permettent de s'adresser à l'ensemble des citoyens : 98% des foyers sont équipés d'une télévision ; chaque foyer possède en moyenne 4 postes de radio et un adulte sur deux lit régulièrement un quotidien.

Dès 1984, P. Champagne notait que les résultats politiques d'une manifestation se jouaient dans deux espaces très différents : la rue et les médias. Autrement dit, les manifestations sont de plus en plus conçues comme des spectacles destinés à attirer l'attention des médias. Or, nous l 'avons vu précédemment, logique médiatique et logique associative sont différentes. Tant et si bien que, hormis la voie publicitaire, les associations ont beaucoup de mal à se faire entendre dans l'espace médiatique. Du coup, pour forcer la porte d'entré des médias de masse, elles ont mis en place des techniques de communication particulières.

- Le dévoilement

Une manière efficace d' " imposer un cadre interprétatif " qui n'est pas celui du journaliste est de transformer l'association en reporter. C'est ainsi que les ONG humanitaires parviennent à imposer quelques fois leur propre vision du conflit à des journalistes qui, soit ne sont pas sur place, soit ont besoin de leur concours pour comprendre la situation qu'ils doivent couvrir. Dans le cas d'Amnesty International, ce dévoilement s'inscrit dans une démarche à long terme. En effet, avec son rapport annuel, l'association est considérée comme une source crédible par les journalistes.

- Les mises en scène d'actions de masse

Le nombre crée l'événement. Une manifestation de plusieurs centaines de milliers de personnes constitue, en terme journalistique, un événement. Cependant, toutes les manifestations ne sont pas aussi mobilisatrices. Du coup, les associations mettent en place diverses stratégies pour transformer leurs actions collectives en événement mass médiatique. Dans ce cadre, nous relèverons les actions menées par Greenpeace qui s'inscrivent dans une forme de " victimisation ". En effet, les militants, toujours photographiés par des reporters de l'organisation, sont constamment mis en scène de façon à apparaître comme les David combattant Goliath.

Ci-contre, la dernière campagne d'appel à la mobilisation contre les mines anti-personnel d'Handicap International.

- Les appels collectifs

Accéder aux médias télévisuels est difficile. Mais les associations, quand elles se regroupent ou lorsqu'elles sont relayées par des intellectuels de renom, parviennent souvent à diffuser des appels nationaux. On peut citer par exemple l'appel pour les états généraux du mouvement social lancé par Pierre Bourdieu et repris par 200 personnalités. Dans le même registre, nous pouvons citer l'Appel à la journée sans achats, la Journée sans télé et la Journée sans marque auxquelles se sont ralliées plusieurs associations.

- Les communications symboliques

Moins une association possède de ressources mobilisatrices et plus, pour provoquer l'attention des médias, elle doit recourir à des modes de communication symboliques. Parmi les plus utilisés figurent le détournement des slogans ou d'images publicitaires (actions menées par Greenpeace contre Total Fina, Esso et Areva ou encore les actions du Collectif de Résistance à l'Agression Publicitaire, le RAP) et la parodie. L'humour peut parfois se révéler être un excellent moyen de s'attirer la sympathie du public tout en discréditant les idées ou les institutions que l'on combat. Dans ce cadre, nous rappelons que l'anti-Nobel de la Paix a été décerné, en 1996, à Jacques Chirac pour avoir mené une campagne de tir nucléaire au moment où l'on commémorait le 50ème anniversaire d'Hiroshima.

b) La communication via les médias alternatifs

Les médias associatifs remplissent plusieurs fonctions : tisser le lien social entre les membres de l'organisation et entre ceux-ci et l'extérieur, diffuser des informations qui ne passent pas dans les mass médias, répondre à des attaques diffamatoires, etc. (ex. la Chronique d'Amnesty et certains journaux donateurs) Les médias non classiques tels que les cartes postales pétitions ou encore les bus et bateaux que Greenpeace a transformés en médias écologistes, sont autant de créations qui prouvent que l'art de la communication n'est pas celui de la redite et de l'adaptation de techniques issues du secteur marchand, mais est celui de l'écoute imaginative. Mentionnons dans ce cadre que l'utilisation des médias interactifs comme Internet permettent aussi de médiatiser certaines actions, ce que nous développerons dans le Chapitre 3.

c) Les communications directes : le happening

Il s'agit de mettre en scène, dans la rue, des spectacles qui soient suffisamment attractifs pour arrêter les passants et suffisamment clairs pour être compris de tous. En outre, ces spectacles possèdent une bonne dose d'humour ou de provocation afin que le public engage le dialogue. L'association de Résistance à l'Agression Publicitaire organise régulièrement des " actions cinéma ". Pendant la diffusion des spots publicitaires, les militants se lèvent, courent autour des fauteuils, miment des actions sportives pendant que d'autres distribuent des tracts et dialoguent avec les cinéphiles qui le désirent. Dans le même registre, signalons le théâtre d'intervention et le " porte-à-porte " développé par Amnesty International et les associations de lutte contre le Sida qui se rendent dans les collèges et lycées pour sensibiliser les jeunes aux droits de l'homme ou aux moyens de prévention du Sida.

-

L'aperçu que nous venons de donner du répertoire communicationnel des associations met en lumière deux faits :

- Premièrement, ce répertoire se démarque sensiblement de celui des entreprises.
- Deuxièmement, les techniques communicationnelles de ce répertoire sont souvent plus créatives et généralement moins onéreuses que certaines des techniques issues du secteur marchand.

Compte tenu des conclusions précédentes sur les risques de dérives engendrés par certains outils de communication, il est important pour les associations de compléter, voire remplacer certaines de ces techniques par d'autres qui semblent être plus adaptées aux messages qu'elles souhaitent faire passer.

 

Haut de page