Interview de Philippe Lévêque,

Directeur de Care, ancien Directeur adjoint et Directeur du marketing de MDM,

A propos de la campagne d'Action Contre la Faim : "Leïla, 100F plus tard."

 

" Leïla avant, après, quelle horreur… Ça a été très mal vécu dans la presse, mais pas par les donateurs : pour les donateurs c'était génial, ACF a beaucoup collecté d'argent avec ça.

Ils ont même réussi un coup qu'aucun d'entre nous n'a réussi à faire à part eux, qui était de conjuguer l'interpellation, le témoignage, expliquer de manière claire et visible ce que fait l'association et faire donner, en général c'est totalement incompatible, on n'arrive pas à faire passer son message et à faire donner, c'est ou l'un ou l'autre, eux ils ont réussi et ils ont traité Leïla comme un baril de lessive, mais dans la tête des gens la comparaison je suis plus (plus haut, plus beau) donc je lave mieux, argument à la con des lessiviers, c'est ça qui marche, donc on leur dit ben voilà là elle est maigre, là elle a les joues rebondies, cent francs avant, cent francs après, ça c'est formidable, c'est formidable, mais intellectuellement parlant ça ne l'était pas.

L'ensemble du milieu humanitaire d'ailleurs l'avait très mal vécu, chez AICF aussi ça avait fait beaucoup de bruit, mais en tout cas, ça, ça fait donner, mais il faut être lucide avec ça, soit on fait du Arté, soit on fait du TF1, si on fait du Arté on a les moyens d'Arté, si on fait du TF1 on a les moyens de TF1, bon maintenant le Soudanais qu'est ce qu'il préfère ?

C'est l'argument des agences hein : ils disent pour le Soudan, ce qui compte c'est que vous fassiez du TF1, c'est vrai, il s'en fout de dire, vous n'avez récolté que 100 balles mais c'est bien, il préfère que vous en récoltiez 1000, donc on est tout le temps dans ces débats-là, c'est pour ça qu'on a fait ce travail sur éthique et marketing."

 

Interview présente dans "L'aventure humanitaire", Jean-Christophe Rufin,

éditions Gallimard, Evreux, 1994,176p.