Interview de Philippe Lévêque,

Directeur de Care, ancien Directeur adjoint et Directeur du marketing de MDM,

explique pourquoi le choix du sujet abordé est crucial lors d'un appel au don.

 

" Il nous est arrivé de refuser un sujet de campagne en disant que ça n'allait pas marcher au niveau des donateurs. Il arrive parfois qu'un responsable de mission souhaite qu'on s'intéresse à sa cause parce que ça peut être une mission qui a des difficultés à être financée.

Le représentant de la mission en Angola va dire : "en Angola aujourd'hui c'est un vrai problème, personne ne veut financer ça, pourquoi on ne demande pas aux donateurs ?" Donc le responsable de mission va pousser et on va lui dire non, non : tout le monde se fout de ce qui se passe en Angola. "oui mais il faut le dire aux donateurs". On va lui répondre : attention tu confonds le message de communication et le message de collecte de fonds.

Faire prendre conscience aux gens que ce qui se passe depuis 10 ans en Angola ou au Sud Soudan ou en Birmanie n'est pas tolérable c'est une chose, mais on n'a pas le droit d'investir de l'argent qui ne va pas rapporter. Surtout que ce sont des sommes qui sont importantes, une campagne c'est 3 millions de francs. Si on se plante, ça va coûter vraiment cher. Donc, en interne, il faut tout le temps expliquer comment ça fonctionne. Inlassablement rappeler quels sont les déterminants qui amènent le don.

Si je dis qu'on ne peut pas faire un appel de fonds sur l'Angola ce n'est pas que l'Angola soit une mauvaise mission, c'est juste que les gens s'en foutent. Donc oui, en interne, il a fallu dire non, je ne ferai pas de message là-dessus, je ne veux même pas le tester, parce que je sais le résultat, je ne veux même pas mettre en l'air l'argent du test. Alors ici il y a beaucoup de recul, il y a une certaine maturité, ça fait 20 ans que l'association existe.

Mais dans les délégations étrangères de Médecins du Monde qui démarrent, les gens sont tout feu tout flammes, ils confondent très souvent la communication, le témoignage et l'appel de fonds. L'an dernier, mes amis espagnols n'ont pas suivi nos conseils sur certains messages. Ils avaient le choix entre un message sur la Bosnie, sur la problématique du traumatisme psychologique d'adolescents en Bosnie qui ont passé leur puberté pendant la guerre : je ne vous raconte pas dans quel état ils sont aujourd'hui avec tout ce qu'ils ont vécu au moment de la puberté.

Donc ce sont des actions importantes, ce sont des actions sur lesquelles on peut communiquer, lever des fonds, les gens comprennent ça. Moi je leur recommandais d'aller sur la Bosnie. En même temps ils font de très belles actions sur ce qu'en Espagne on appelle le quatro-mundo, le quart-monde et sur la toxicomanie en Espagne. Je leur ai dit ça ne marchera jamais : la toxicomanie en Espagne, pays archi-catho, même s'ils évoluent beaucoup ce n'est pas possible. Déjà en France, ça ne marche pas. Ils se sont obstinés, ils n'ont pas fait de test, ils ont envoyé 100.000 mailings sur la Bosnie et 100.000 sur la toxicomanie en Espagne qui a été une catastrophe, très peu de retours. Sur la Bosnie ça a marché.

Les déterminants de l'action au don sont les mêmes dans le monde entier [...] et les donateurs sont partout les mêmes : les nôtres ont un profil très conservateurs, catholiques, plus de 70 ans. De Stockholm à Johannesburg et de Vancouver à Tokyo en passant par Paris, c'est pareil. Ça c'est très dur à entendre, souvent les gens refusent d'écouter. Quand je leur dis à Tokyo que leur donateur, ça sera une mamie, elle aura 65 ans, elle vivra dans les grandes villes, elle votera conservateur, elle sera plutôt bouddhiste, elle réagira pour tel type de cause. Ils me disent "non non, tu ne connais pas le Japon, c'est notre pays, ils réagiront plutôt comme ça". Ce n'est pas vrai

Les donateurs ont toujours le même profil, en tout cas dans les pays où les modes de pensée et les médias sont ce qu'ils sont, c'est-à-dire relativement homogènes. Asie, Occident, c'est pareil, pareil, d'ailleurs tout le monde a les mêmes campagnes, tout le monde s'échange les mêmes mailings. Nous notre mailing pour la Turquie en ce moment est le même en Hollande, en Belgique, en France et au Japon. l'Unicef fait le même message en Europe, en Inde et en Afrique du Sud, ce sont les mêmes…… ".

Interview réalisée par Philippe Mesnard, voir sources.